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Cuisine musicale au centre social des Vernes

Depuis **** les cuisines musicales ont eu lieu à peu près une fois par mois au centre social Jacques Prévert, au quartier des Vernes.

Ces évènements se décomposent en plusieurs temps. Tout d'abord, un groupe prépare plusieurs plats durant l'après-midi. Nous avons pu voir que ce groupe était majoritairement constitué de femmes habitant le quartier des Vernes. Elles suivent les recettes d'un ou plusieurs membres du collectif C'est Pas Des Manières. En parallèle, les musiciens du collectif répètent leurs musiques. Si les enfants de l'Orchestre aux Vernes, de l'école Louise Michel ou d'autres groupes, participent, ils répètent eux aussi avec les musiciens ou de leur côté dans un autre local.

Enfin, quand chacun est paré, que le public est entré dans la salle où se tient la représentation, la musique commence, accompagnée au fur et à mesure par les assiettes préparées dans les cuisines juste en face. La nourriture peut aussi être servie sous forme de buffet en fin de représentation mais l'effet reste le même : le partage.

Que ce soit le partage d'une culture musicale, d'une culture culinaire, ou simplement partager une conversation autour d'une bonne musique ou d'un bon repas, ces évènements sont pensés pour créer du lien social entre les personnes qui y participent.

​Observation à quatre mains de la journée du 24/11/2017

Jessica :

    Arrivée vers 14h au centre social, je rejoins les femmes en cuisine qui arrivent plutôt à l’heure. Elles sont dix (certaines ont déjà cuisiné un couscous ce matin). On attend Iyed, un associé/producteur du collectif, qui vient aujourd’hui nous faire cuisiner pour la soirée “cuisine musicale”. Lorsque j’arrive, je me présente rapidement auprès de Colette, qui ne s’attarde pas sur ma présence et dit ne pas se rappeler de mon visage (nous l’avions rencontrée lors d’un entretien un mois auparavant). Je me retrouve donc dans cette cuisine remplie d’habituées, ne sachant où poser mes affaires, ni que faire. Alors je m’installe avec les femmes, en piétinant un peu (sans m’être présentée !) ; heureusement l’une d’entre elles m’interpelle pour savoir qui je suis, et surtout qu’est-ce que je viens faire là, aux Vernes ! Je me présente et m’installe autour de la grande table avec elles ; nous buvons un thé, un café pour certaines. Ma présence ne semble pas poser de problème, au contraire, certaines semblent contentes de voir une nouvelle tête. Iyed est assis à ma droite, il se présente à son tour, et explique ce que nous allons faire et comment. Il fait faire un tour des prénoms. Après cela, sa présentation personnelle reste très brève : il dit son prénom et précise qu’il est là pour leur apprendre quelques recettes, il ne se donne pas de “statut”. Pendant qu’il parle, certaines femmes sont très attentives, d’autres moins, bavardant et se faisant reprendre par leurs amies. Il m’explique qu’il vient avec le collectif (je n’ai toujours pas compris qui il était exactement dans le collectif, producteur ?) et qu’il a été cuisinier, fut un temps. Après avoir fait connaissance, nous commençons à cuisiner, sous l’impulsion de Colette.

    Chacune des femmes s’affaire dès le début (moi y compris), sauf Sabrina et Fouzia.  Elles font parties des plus anciennes ; elles viennent de passer la matinée au centre social à cuisiner un couscous qui sera vendu le lendemain (selon les explications d’Ambrine, c’est une coutume dans la communauté maghrébine “tu fais un couscous et les gens en achètent car ça prend trop de temps à faire, 5h en moyenne, je dirais et encore”). En rigolant, Colette leur a dit avant de débuter la cuisine : “tout le monde s’y met sauf vous !”. Ces deux femmes prennent un statut privilégié pour deux raisons : elles viennent au centre pour “ne pas cuisiner” alors même que l‘activité est la cuisine. Ainsi, cette cuisine du centre Prévert se transforme en partie en lieu de rendez-vous pour des amies, la cuisine apparaît presque comme un prétexte (ce qui semble se confirmer plus tard) pour occasionner cette retrouvaille entre voisines, cet entre-soi chaleureux.

    Après des débuts brouillons, Iyed décide de “répartir les tâches” : je me retrouve donc à trier du persil avec Fouzia pendant que d’autres épluchent les pois chiches, font cuire les aubergines, coupent les oignons, les tomates... Nous discutons et nous sympathisons toutes les deux, j’en profite pour poser quelques questions sur la vie de ce centre social, ses événements, et celui d’aujourd’hui en particulier. Après réflexions, nous avons choisi de ne pas prendre de notes ethnographiques lors de cette journée, et nous ferons sûrement de même lors de la prochaine journée “cuisine musicale” le 19 décembre. Nous essayons de rentrer en contact direct avec les habitants pour la première fois. Dans l’idéal, je veux créer quelques liens sincères avec eux. Elle m’explique que ces rendez-vous cuisine sont l’occasion pour les femmes de se retrouver, de parler, rigoler, loin de leur famille, “tranquille”. Pour le hachage du persil, chacune des femmes propose sa technique, différente de celle des autres ; nous finissons par opter par l’usage des ciseaux : activité qui fatigue vite l’avant-bras. Ce hachage est l’occasion de créer une certaine complicité entre Fouzia et moi, que je retrouverai plus tard dans l’après-midi, et que j’espère retrouver lorsque je reviendrai aux Vernes. Toute cette après-midi est un moment de partage d’anecdotes et de techniques de cuisine ; les façons de faire se confrontent, se superposent, s’allient, dans le but de préparer un bon repas pour les familles qui viendront au centre le soir-même. 

     A aucun moment je n’ai abordé le fait que ces femmes se retrouvent pour cuisiner, alors qu’elles semblent déjà passer beaucoup de temps à cuisiner (elles le disent, et certaines - la majorité ? - d’entre elles sont cuisinières de professions). La cuisine est une activité culturellement féminine, donc, c’est autour de cette activité typée féminin que des femmes peuvent se retrouver. En fait, la cuisine est en partie créatrice de cet entre-soi, puisqu’elle appartient à l’univers des femmes et du coup fédère des femmes. Cuisiner devient presque nécessaire pour que cette réunion soit possible, sans les enfants, (sans les hommes) ; Sabrina et Fouzia ont passé leur journée au centre social, comme elles l’auraient passé chez elle, mais pour une chose en particulier : cuisiner.

    Les phrases que prononcent les femmes du centre, ainsi qu’Iyed, sont autant en arabe qu’en français ; seules deux personnes ne parlent pas arabe cette après-midi : Colette et moi. Mon exclusion linguistique a été compensée par l’arrivée d’Ambrine (vers 16h30) qui comprend et parle l’arabe, mais aussi par les explications et traductions que me fournissaient les femmes quelquefois. Le fait qu’elles m’incluent à certaines conversations par le passage au français m’a touchée ; elles adaptaient leur dispositif linguistique/culturel pour me permettre une inclusion dans leur groupe, alors même que je ne dispose pas de ces codes qui sont nécessaire dans certaines de leurs conversations.  Quand je suis partie du centre, Sabrina, avec qui j’avais sympathisé et blagué, m’a lancé : “on va t’apprendre à parler arabe !”.

Ambrine :

    Je suis arrivée à 16h30, après Jessica, qui elle est arrivée à 14h ; mon retard étant dû à des soucis d’organisation. L’accès à Givors et notamment aux Vernes fut compliqué. Le bus 81 ne passant que toutes les demies heures, j'ai dû l’attendre vingt-cinq minutes et entrer dans un bus bondé avec tout le matériel vidéo que l’on peut comparer à une poussette en termes de taille et on comprend vite que les habitants des Vernes ont du mal à se déplacer dans Givors.

    Dans le bus, j'ai rencontré une grand-mère qui était venue chercher son petit-fils de deux ans à la crèche de Givors (la seule de la ville, je crois). Elle était comme moi bien embêtée de devoir attendre le bus “avec le petit” pendant plus de vingt minutes. Nous avons un peu discuté à propos des transports en commun qui, selon elle, ne sont pas au point à Givors. Cinq minutes avant l'arrivée du bus, elle s'est rendu compte qu'elle avait oublié la sucette et le doudou de son petit-fils à la crèche. Elle était extrêmement embêtée mais m’a dit ne pas pouvoir retourner les chercher car la crèche était un peu loin de l'arrêt de bus et qu'elle allait rater le bus. Elle m'a confiée que personne ne lui avait demandé sa carte d'identité à la crèche pour partir avec son petit-fils et que c'était des dames qu'elle ne connaissait pas : “C'est n'importe quoi ! Donc n'importe qui peut prendre les enfants ? C'est en partie pour ça que j'ai oublié ses affaires elles m'ont laissé le prendre sans rien demander sans me dire où étaient ses affaires j'ai dû chercher seule”, me dit-elle quelque peu agacée.

    Une fois dans le bus il n'y avait tellement peu de place que les usagers se sont entraidés pour laisser une place à la vieille dame et lui amener son petit-fils.

    Elle m'a demandée où je me rendais je lui ai dit que j'allais aux Vernes et que c'était la première fois que je prenais ce bus. Elle m'a dit : “ah moi aussi je vais aux Vernes vous allez où ?”. Je lui ai répondu que j'allais au centre social et elle m'a dit qu'elle ne savait pas si le centre était ouvert à cette heure-là.  Elle n'était donc pas au courant de la soirée “cuisine musicale” alors qu'elle habite juste à côté du centre social et que sa fille est mère de trois enfants en bas âge.

    En arrivant au centre social, je me suis dirigée vers l’accueil. Je me suis présentée à une dame qui a levé la tête de son ordinateur et ne semblait pas comprendre pourquoi j'étais là.  Elle m'a dit : “ils sont par-là dans la cuisine et dans la salle”. J'ai demandé le chemin car je ne connaissais pas les locaux ce à quoi elle m’a répondu tout droit et à droite pour la cuisine gauche pour la salle. Je suis d'abord allée dans la salle afin de saluer les membres de C'est Pas Des Manières que nous avions déjà rencontrées. J'ai discuté avec Chems qui m’a présentée à ses collègues que je n'avais jamais vu. Elle m'a dit que ça ne se passait pas vraiment comme prévu : “finalement ils n'ont pas proposé aux familles, ce sont des habituées qui font la cuisine. Enfin, c'est des mamans quand même mais ce n'était pas trop le but.” Elle m'a également dit que la responsable de l’accueil, Colette Pingot, ne leur avait presque pas adressé la parole. Puis Chems m’a expliqué les problèmes logistiques qu'ils avaient rencontrés. Je lui ai parlé de mon retard et lui ai montré le matériel vidéo.  Enfin, elle m'a présentée à l'équipe en cuisine.

    Arrivées en cuisine, Jessica était déjà présente. J'avais le matériel vidéo avec moi et Chems m’a présentée. Elle a également précisé que nous allions faire quelques images. La réaction a été assez vive. Certaines ne voulaient pas apparaître. J'ai essayé d'expliquer que c'était un projet pour l'université uniquement et que personne d'autre que nos professeurs et peut-être nos camarades allaient voir la vidéo. Nous avons senti une certaine résistance compréhensible puisque nous n'avions pas prévenu au préalable.  J'ai dit que nous pouvions éventuellement filmer les mains uniquement lors de la préparation des plats ce qui a contenté à peu près tout le monde.

    Les premières minutes étaient un peu compliquées car je ne connaissais le nom des personnes mais Jessica, qui était là depuis quelques heures, m’a un peu expliqué les rôles de chacun. La situation s'est assez vite détendue quand les femmes ont compris que je parlais arabe et comprenais donc leurs blagues et discussions auxquelles j'ai quelque peu participé. Elles parlaient de leurs différentes pratiques et habitudes, ce qu'elles aimaient, ce qu'elles avaient l'habitude de faire et ce que l'on fait dans leur pays d’origine.  Discussions assez agitées car le cuisinier de C'est Pas Des Manières prénommé Iyed était d'origine palestinienne et les femmes étaient majoritairement algériennes.

    Les discussions ont vite tourné à la rigolade et les femmes n'ont pas hésité à y introduire Jessica et moi-même. L'une d'entre elles nous a même appelé “ses filles”. Dans la culture maghrébine, c'est une appellation commune “benti” qui veut dire ma fille et “khalti” qui veut dire ma tante sont des appellations affectives qui peuvent cependant être employées entre inconnus se rendant service ou ayant des intentions sympathiques : tenir une porte, laisser une place dans le bus, etc. Avant de partir, Sabrina, la dame qui nous a appelé “mes filles” m’a demandée sur quoi on travaillait et si elle allait être dans notre film car elle ne voulait pas que l'on voit sa tête ni que l'on traduise les discussions en arabe qui sont de l'ordre du privé. Je lui ai dit en rigolant : « ne t'en fais pas ce n'est pas vraiment sur vous que l'on travaille, pour l’instant c'est sur Colette » (nous venions de dire que Colette ne m’avait presque pas adressée la parole. Elle m’a simplement dit bonjour et m’a dit qu'elle m'avait déjà vue alors que c'est la première fois que nous nous rencontrions. Sabrina a évoqué le fait que Colette était assez directive avec les femmes). Ce à quoi elle répondit : « ah d'accord ! Tu ne traduis pas ce qu'on a dit dans ta vidéo, d'accord ? » J'ai promis que oui donc je ne traduirai pas.

    Cléo et Thomas sont ensuite arrivés et nous les avons un peu introduits au groupe de femmes et Sabrina a très vite blagué comme toute l'après-midi.

    La représentation a commencé et il était temps pour Jessica et moi de partir et de laisser la relève à Cléo et Thomas-Charles.  Les au revoir ont été très chaleureux et les femmes ont exprimé l'envie de nous revoir. Le fils de Sabrina nous a indiqué l’endroit où prendre le train.

 Cléo :

    Arrivée avec Thomas-Charles, nous sortons en gare Givors Canal. Nous partons à pied sans savoir où nous allons. Nous marchons, passons par le stade, difficile de savoir par où sortir avec tous les grillages mais nous n’avons trouvé qu’un petit chemin pour nous rendre aux Vernes. Après quelques efforts nous arrivons enfin aux Vernes. Ambrine nous rejoint à l’extérieur pour aller ensemble au centre social des Vernes, au premier étage d’un bâtiment. Au rez-de-chaussée se trouve la boulangerie et un restaurant de fast-food. Ambrine nous montre les espaces de « festivités ». Tout d’abord la cuisine, où une dizaine de femmes s’affairent à préparer les derniers plats pendant que d’autres semblent se reposer après avoir travaillé en cuisine toute la journée. Et puis il y a Iyed seul homme présent dans la cuisine (à l'exception du fils de Sabrina, une des habitantes du quartier). Surnommé pour l’occasion « chef cuistot », Iyed fait partie du collectif C’est Pas Des Manières. Nous passons ensuite un couloir où plusieurs enfants ont envahi l’espace. C’est un vrai terrain de jeux où les enfants n’hésitent pas à courir. Nous rentrons dans une salle moyennement grande où se concentre des familles avec leurs enfants, une partie du collectif C’est Pas Des Manières, Agnès Ménard et Collette, des élus. Jessica me prend par la main et me dit : “vient on va filmer ce qui se passe dans la cuisine”.

 

    Ni une ni deux nous voici en train de filmer les mains de Iyed qui hache le plus fin possible le persil pour les Kofte de ce soir. Il nous montre un peu comment il arrive à hacher si finement. Dans la cuisine, les femmes le remercient et le complimentent pour leur avoir permis d’apprendre à cuisiner tel ou tel plat.

    Après ce court interlude filmique, Sabrina qui nous a semble-t-il tous adoptés, en nous renommant par différents surnoms et en nous considérant comme ses enfants, nous sert à tous de la soupe que toutes et tous ont préparé au cours de la journée. Nous commençons à nous délecter de cette soupe quand Agnès Ménard nous prévient qu’il serait bien de retourner dans l’autre salle, car le film avait commencé. Nous commençons à nous diriger vers l’autre salle sans prendre le temps de ranger nos couverts, Sabrina le remarque et nous indique qu’il faudrait quand même ranger nos affaires, ce que nous faisons. Nous nous dirigeons vers l’autre salle, pour ma part, je regrette un peu de ne pas avoir pu continuer les discussions avec les habitantes présentes dans la cuisine. Cette cuisine, par la suite, devint vite pour moi et peut-être aussi pour mes collègues, un endroit où je me sentais très à l’aise, un endroit où il était facile de parler, d’échanger…

    Nous voici dans la salle, je suis tout d’abord avec Jessica puis les autres nous rejoignent. La projection du film a commencé. Ce film est la restitution d’un projet musical de la chorale qui avait été mis en place l’année dernière avec le collectif C’est Pas Des Manières et des enfants habitant aux Vernes. Nous nous installons dans la salle, Sabrina et son fils nous rejoignent nous sommes debout derrière le public qui est assis sur des chaises, devant, les plus petits sont par terre et gambadent. Sabrina me dit que c’est un peu bête d’avoir autant excentré le vidéo projecteur (il était complètement à gauche de la salle). Les parents regardent, pour certains c’est leurs enfants qui sont présents dans la vidéo et qu’ils reconnaissent, d’autres montrent leur frère à leur autre enfant : “tiens regarde c’est lui là, habillé en bleu “.

    C’est la fin de ce petit film, toutes les femmes qui étaient en cuisine y retournent c’est le moment pour elles de dresser les assiettes et de finir les derniers préparatifs. Je reste dans la salle, les musiciens se préparent pour commencer la soirée musicale. Les enfants de la chorale se mettent en place. Pour notre part, nous aimerions pouvoir demander au public s’il est possible de les filmer mais de dos, nous espérions faire cette annonce avant que la musique commence et en accord avec Agnès Ménard et Colette, mais déjà la musique commence, trop tard. Nous ne filmons pas le début avec la chorale. Ambrine et Jessica s’en vont. Thomas-Charles et moi décidons après une concertation commune de demander à nouveau s’il était possible de filmer la soirée (Ambrine et Jessica avaient demandé, Agnès et Colette leur avaient qu’ils valaient mieux l’avis de tout le public). Je demande d’abord à Thierry du collectif C’est Pas Des Manières s’il est possible de filmer à côté de son caméscope : il n’y aucun souci pour lui. Ensuite nous allons voir Agnès, c’est un peu compliqué de trouver le bon moment pour lui parler, parce qu’elle est toujours en train de faire quelque chose pour le bon déroulement de la soirée. Nous y arrivons et elle nous demande d’un air, je dirais fatigué, de ne filmer les gens que de dos. Ainsi nous voilà caméra en main pour l’un et perche pour l’autre. J’avoue qu’à partir de ce moment-là je n’ai principalement regardé la soirée dans cette salle qu’à travers la caméra. Après avoir filmé quelques minutes, j’ai laissé Thomas-Charles s’en occuper, je suis allée rejoindre les cuisiniers.

    Iyed était debout en train de couper les Kofte (boulettes de viandes) et plusieurs étaient assis autour de la table pendant que des femmes aidaient Iyed. Ils m’ont fait part du fait qu’il n’y avait pas assez de viande et donc que seulement les adultes pourraient manger, parce que Colette n’avait pas acheté assez de viande. Une des femmes ajoute que ce n’est pas la première fois qu’il manque à manger dans un événement similaire. Je me propose d’aider Iyed qui découpe et met les Kofte dans la galette, pendant que deux femmes ouvrent les galettes. Les cuisinières (les femmes présentes dans la cuisine) et le chef cuistot (Iyed) râlent parce qu’on est obligé de couper des Kofte en deux alors qu’elles sont déjà petites. Je commence en essayant de prendre le rythme de Iyed pour remplir les galettes je me brûle les doigts. Autour de nous, les femmes parlent du manque de nourriture : un peu plus de quarante assiettes sont prêtes et il n’y en aura aucune pour les enfants. Elles m’expliquent que c’est Colette qui a demandé à ce que ça ne soit que les adultes qui mangent. Elles me disent que c’est n’importe quoi, et que chez elles c’est d'abord les enfants qui mangent et après les adultes. Ensuite, nous allons servir et par mégarde je donne une assiette à un enfant plutôt grand (13 ans). Une des habitantes me dit alors qu’il ne faut pas sinon il manquera des assiettes. Les cuisinières vont donner les assiettes aux parents qui sont dans le public, puis elles retournent dans la cuisine chercher les assiettes et ainsi de suite. Après avoir fini le service, elles reviennent dans la cuisine et ferment la porte de celle-ci. Je suis à l'intérieur avec elles, elles ne semblent pas avoir envie de participer au concert qui se passe dans l’autre salle. Je ne saisis pas tout de ce qu’elles racontent parfois elles parlent en arabe, elles m’ont traduit seulement une conversation. En effet, une des habitantes avait le prénom (en arabe) d’un plat spécifique, c’est toute la cuisine qui parlait de son prénom, puis Sabrina dit à cette habitante (je ne me souviens plus de son prénom, j’ai fait le choix de ne pas prendre de notes directement sur le terrain et donc je n’ai pas noté les prénoms de chacun/e) : “ça fait longtemps que tu vis ici, je ne t’avais jamais vu ? “. Elle lui répond que cela fait bientôt dix ans. Je suis retournée voir Thomas-Charles et le spectacle était presque fini, les enfants étaient de moins en moins nombreux dans la salle, mais davantage dans les couloirs, les habitants avaient fini de manger. Nous sommes retournés dans la cuisine parler avec les habitantes c’était plus compliqué puisqu’elles étaient déjà en conversation. Je me suis assise sur différentes chaises avant d’arriver à la bonne où j’ai trouvé une voisine avec qui j’ai eu une petite conversation. Elle m’explique qu’elle vient souvent au centre social et qu’elle a déjà participé à un événement où on cuisinait. Elle me répète donc l’histoire avec le manque de nourriture sur cet évènement. Elle tente de m'expliquer les relations qu’elles ont avec Colette (du centre social), et là toutes me parlent et ce qui ressort c’est que Colette et ces habitantes se connaissent bien puisqu’elles viennent au centre social, et s’il manque de la viande c’est parce que Colette fait très attention à l’argent dépensé. Puis ma voisine part pour retrouver son fils qui est dans l’autre salle, petit à petit la salle se vide. Avec Thomas-Charles, nous allons ranger notre matériel qui est dans l’autre pièce, où le collectif C’est Pas Des Manières finit de ranger le matériel de musique. Nous retournons tous ensemble dans la cuisine. Tous les habitants sont partis sans que je ne m’en rende compte, une fois le spectacle fini vers 20h15-20h30, il ne restait plus aucun habitant. Nous retrouvons donc le collectif et c’est le moment pour eux de se détendre et de manger. Nous nous joignons à eux, autour de nous Agnès et Colette continuent de travailler, elles rangent, lavent, elles ne semblent pas vouloir prendre une petite pause. Nous parlons pas mal de la faculté, certains étaient à Lyon 2 où y travaillaient. Puis la soirée se termine, nous les aidons à descendre leur affaires, ils partent, Thomas-Charles et moi attendons Julide qui vient nous chercher pour nous ramener à Lyon.

Thomas-Charles :

    Après un périple à travers tramway, métro et train qui nous a mis en retard, Cléo et moi sommes arrivés à Givors aux alentours de 18h50. Nous avons décidé de descendre à l’arrêt Givors Canal pour gagner du temps et rattraper au mieux le temps perdu. Nous cherchons donc, non sans peine, notre chemin jusqu’aux locaux du centre social des Vernes et y parvenons une trentaine de minutes avant le début des festivités. Ambrine, qui était venue nous attendre à l’extérieur, nous mène jusqu’à l’intérieur du centre social, jusque dans la cuisine. Beaucoup de personnes étaient déjà sur place pour assister au spectacle, principalement des parents avec leurs enfants pour ce que j’ai pu en voir en arrivant. Certains enfants couraient et jouaient ensemble un peu partout dans le couloir, au grand dam de certains parents et des responsables du centre social ; d’autres enfants restaient quant à eux près de leurs parents dans la salle où allait se tenir la représentation, pendant qu’on finissait d’y installer des chaises supplémentaires pour palier l’affluence plus important que prévue.

    Arrivés dans la cuisine, Ambrine nous introduit auprès des femmes avec qui elle et Jessica avaient passé l’après-midi. Elles étaient une dizaine environ, de différents âges mais toutes ayant passé la trentaine à première vue, certaines s’affairaient encore à la préparation du repas qui allait être servi aux spectateurs, d’autres, assises autours du carré de table disposé au centre de la cuisine, discutaient entre elles, avec Jessica ou avec Iyed, seul homme de la pièce et cuisinier appartenant au collectif C’est Pas Des Manières. Sabrina, qui était a priori la seule à être accompagnée de son fils, est la première à nous parler. Après nous avoir demandé notre nom, elle rebaptise Cléo « Cléopâtre », un peu à son initiative d’ailleurs, et moi « Jean-Paul Gaultier », ce qui ne manque pas de nous faire rire ainsi que ceux qui y ont prêté attention. Pendant que Jessica et Cléo filment Iyed en train de couper du persil, je demande à Ambrine comment s’est passé la journée.

    Après que Sabrina m’a fait servir un bol de soupe de lentilles, me précisant de le manger « avec ma sœur » en parlant de Cléo, ce que nous fîmes, nous nous sommes rendus dans la salle où se tenait la représentation. Quelques personnes, par manque de chaises, restent debout à l’arrière de la salle, où se trouve l’entrée, nous y restons également au début. Après la diffusion d’un extrait de film tourné avec des enfants habitant aux Vernes un an auparavant, Ambrine et Jessica s’en vont, et c’est au tour des enfants ayant passé l’après-midi à chanter de venir sur scène (à l’avant de la salle). Trois des artistes de CPDM jouent chacun d’un instrument et/ou chantent avec les enfants. La prestation, mais ce n’est que mon avis, est à la fois très entraînante et touchante grâce à l’énergie que les enfants et les musiciens insufflent à leur musique. Nous n’avons pas pu filmer la partie du spectacle à laquelle les enfants ont participé à cause d’un malentendu. J’avais cru comprendre que nous ne serions pas autorisés à filmer, mais après concertation avec Cléo, nous sommes allés voir madame Ménard qui nous a autorisé à filmer depuis le fond de la salle.

 

    Nous avons donc sorti la caméra et sommes allés nous poster à côté de Thierry qui filmait déjà avec son caméscope pour CPDM. N’étant pas aussi organisés que Thierry, nous n’avions pas de trépied pour la caméra, Aussi, nous avons filmé en nous échangeant, Cléo et moi, la caméra et la perche, recueillant des images tremblotantes. Le plus drôle a été quand Cléo décida de retourner dans la cuisine pour voir ce qu’il s’y passait en parallèle de la représentation, me laissant avec la caméra dans une main et la perche dans l’autre.

   Les spectateurs se voyaient servir la soupe de lentilles et d’autres bonnes choses arrivant tout droit de la cuisine, plats menés par les femmes qui avaient passé l’après-midi à les préparer en compagnie de Iyed. Les parents partageaient avec leurs enfants et chacun semblant pour le moins satisfait de ce repas en musique. Je remarque, environ à la moitié du spectacle, la présence de monsieur André Vincent qui parle avec un homme que je ne connais pas mais dont j’ai cru comprendre qu’il venait de la mairie de Givors. Je les saluerai à la fin de la représentation.

   Après que les musiciens ont clos la soirée en précisant qu’ils seraient sur Givors pendant les trois prochaines années et en remerciant les spectateurs d’être venus ce soir, Cléo et moi avons commencé à ranger notre matériel. Nous sommes alors allés dans la cuisine où les femmes présentes discutaient et riaient entre elles. Cléo s’est directement intégrée à une conversation tandis que je peinais à m’incruster dans celle de Sabrina de qui je me sentais plus proche de par nos précédents échanges en début de soirée. J’optais finalement pour une pause cigarette en compagnie de Chems, chanteuse et guitariste de CPDM. Nous sommes descendus aux pieds du bâtiment du centre social et avons commencé à parler. Elle m’a dit avoir trouvé cette soirée très réussie et nous avons pu échanger sur le déroulement de la journée avant que Cléo et moi n’arrivions, quand nous sommes tombés nez-à-nez avec Sofian, sorti du fast-food voisin.

    Nous avions rencontré Sofian lors de notre première visite de terrain et une seconde fois lors de notre entretien avec mesdames Ménard et Pingot. Je le salue, et, me reconnaissant, il se joint à Chems et moi autour d’une cigarette. Nous lui avons parlé de la soirée, dont il n’avait pas eu vent. Il a donc profité de l’occasion pour dire que, selon lui, le centre social ne communiquait pas assez bien sur les événements qu’il organisait. Il nous a parlé de beaucoup de choses qui, à son avis, n’allaient pas à Givors en général :  l’éclairage public de la ville qui s’éteint à partir de minuit ou encore la parole des habitants qui n’était pas entendue ou, du moins, pas prise en compte par les élus, selon lui toujours, et en passant par la discrimination à l’embauche jusque dans le carrefour qui emploierait à peine cinq ou six habitants de Givors contre une grande majorité de personnes résidant près de Saint-Etienne. Étant entraineur de football bénévole au stade se situant en bas des Vernes, Sofian m’a proposé de venir le voir, lui et les enfants qu’il entraîne un samedi, afin que nous puissions leur demander ce qu’ils pensent de la ville et de ce qui y est proposé.

    De retour dans le centre social, Chems et moi retournons dans la cuisine où désormais seuls les membres de CPDM se trouvent, mangeant et buvant avant de partir. Nous nous installons avec eux, Cléo était déjà en pleine conversation. Je parle tout d’abord avec l’homme en charge des réglages de son pendant la soirée, je lui dis naïvement que je ne me sentirais pas capable de faire ce qu’il fait et que je n’y comprends pas grand-chose, à quoi il me répond en souriant : « Tu fais de l’anthropologie ? Et bah moi non plus je comprends pas ce que tu fais ! ». On nous a proposé une bière à moi et Cléo, que nous avons volontiers acceptée, et nous avons passé une bonne vingtaine de minutes à parler de la soirée et de choses plus personnelles comme nos études et nos parcours. Les artistes ont ensuite descendu leur matériel par l’ascenseur, frôlant la surcharge, et nous avons terminé la soirée en discutant gaiement près de leurs voitures, autour d’une dernière cigarette. Cléo et moi sommes restés, discutant des événements que nous venions de vivre, attendant que Julide vienne aimablement nous chercher en voiture, plus tôt que nous ne l’avions prévu, pour nous ramener à Lyon.

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